Au fil des médailles : Les grands maîtres qui ont inspiré Oscar Roty

18 octobre 2025

L’école française de la médaille au XIXe siècle : un vivier créatif

Dans les années 1850-1900, la France affirme sa suprématie dans un domaine qui conjugue fièrement excellence technique et hardiesse expressive. Trois noms s’imposent, dont la trajectoire se révèle en filigrane dans celle de Roty.

  • Jean-Baptiste Daniel-Dupuis (1849-1899)
  • Jules-Clément Chaplain (1839-1909)
  • Louis-Oscar Roty (1846-1911) lui-même marquera ce courant, mais il fut aussi élève et admirateur de ses devanciers.

La médaille française sort alors de la seule glorification officielle pour devenir champ d’expérimentations personnelles, souvent poétiques, qui font école dans toute l’Europe, jusqu’à la Monnaie de Vienne ou Birmingham.

Jules-Clément Chaplain : le mentor incontesté

C’est sans doute la figure la plus omniprésente dans le parcours de Roty. Chaplain, Prix de Rome en 1863, entame une carrière fulgurante : il reçoit la commande de la médaille officielle de la République, le portrait de Sadi Carnot ou encore de multiples portraits de l’élite politique et artistique de son temps. Il contribue à faire de la médaille un art moderne, à l’opposé des simples transcriptions numismatiques du passé.

Quelques éléments majeurs qui soulignent son influence sur Roty :

  • Le modelé vif des portraits : Chaplain rompt avec la rigueur académique et insuffle mouvements, expression, et une vie intérieure aux visages. Ce naturalisme subtil transparaît chez Roty, à travers la souplesse de ses figures.
  • L’invitation à la "médaille-tableau" : Chaplain élargit le format, multiplie les jeux de plans et d’arrière-plans, donnant à la médaille l’ampleur d’une miniature en haut-relief. Cette approche préfigure les compositions ouvertes de Roty, notamment dans ses médailles commémoratives.
  • L’esprit de camaraderie dans l’atelier : Chaplain accueille et conseille la génération suivante. Roty a lui-même côtoyé Chaplain à l’atelier de gravure de l’École des Beaux-Arts. Leur correspondance témoigne d’un échange constant de conseils et d’encouragements (source : Archives nationales, dossier Chaplain).

Une anecdote raconte que lors du Salon de 1882, Chaplain, admirant la médaille de Roty sur le Centenaire de Rousseau, aurait déclaré : « Voilà un style qui parle à l’âme, sans rien renier de l’exigence de la forme » (source : Journal des Artistes, 1882).

Jean-Baptiste Daniel-Dupuis : la science de la lumière

Moins connu du grand public, Daniel-Dupuis demeure un orfèvre du modelé et de la composition. Lauréat du Grand Prix de Rome en 1865, il évolue comme Roty dans les cercles de la Monnaie de Paris et du Salon des artistes français.

  • L’art du relief subtil : Daniel-Dupuis excelle à faire jouer la lumière sur de faibles épaisseurs, créant des effets de demi-teinte qui confèrent à ses œuvres une douceur inédite. Roty retiendra cette leçon en cherchant à « faire respirer le métal », selon ses propres notes (source : Correspondance de Roty, BNF, manuscrits).
  • Le paysage médallistique : Daniel-Dupuis est l’un des premiers à intégrer pleinement un décor, comme sur sa Médaille du centenaire de la naissance de Victor Hugo (1885). Roty adoptera cette recherche de théâtralisation du paysage dans ses propres compositions.

L’influence est double : elle tient autant de la technique que de la logique de narration silencieuse au revers des médailles. Daniel-Dupuis disparaît tragiquement en 1899, mais laisse à l’art de la médaille une veine poétique dont Roty sera le continuateur.

Des racines plus anciennes : David d’Angers et la tradition romantique

Le grand-père spirituel de la médaille moderne demeure Pierre-Jean David, dit David d’Angers (1788-1856). Son ombre plane sur tout le XIXe siècle. Dès les années 1830, il bouscule la médaille, jusque-là perçue comme simple miniature monétaire, en la dotant d’un souffle épique.

  • Un panthéon de figures républicaines : son Médaillier des Grands Hommes (534 médailles, Musée des Beaux-Arts d’Angers) est une galerie vivante où le relief et la psychologie se conjuguent.
  • L’invention du portrait suggestif : David d’Angers privilégie l’esquisse expressive à la ressemblance photographique. Roty, à sa manière, hérite ce goût de la synthèse et du geste évocateur.
  • L’inscription narrative : David d’Angers utilise le revers pour conter une histoire, un événement, bien plus que pour inscrire des symboles abstraits. Roty, dans ses pièces majeures, poussera plus loin encore ce principe.

Une lettre conservée à la BNF atteste de l’admiration portée par Roty à David d’Angers et à son humanisme (BNF, fonds Roty).

Gustave Bianchi : le coup de burin discret mais novateur

Plus discret, Gustave Bianchi (1842-1904) trace pourtant un sillon original, entre classicisme et audace, et croise la route de Roty dès l’atelier Barbedienne.

  • L’exigence du dessin préparatoire : Bianchi met au point un usage plus poussé du dessin préparatoire sur cire, ce qui permet d’accroître la spontanéité du relief. Roty s’initiera à cette méthode, qui fait la part belle à l’instant et à la lumière.
  • La médaille comme expérimentation : Bianchi refuse l’uniforme des styles officiels. Certains de ses essais, souvent restés inédits, explorent l’association de la médaille à d’autres techniques, comme l’émail et la ciselure. Ce goût de l’expérimentation trouvera un écho chez Roty.

L’enseignement de la Monnaie de Paris : transmissions et rivalités

La Monnaie de Paris demeure au XIXe siècle un lieu stratégique de formation et d’émulation. Roty y sera reçu graveur général en 1888, mais il y croise plusieurs générations de médailleurs. L’atmosphère y est faite de rivalités fécondes et de solidarité.

  • Les concours et prix : C’est dans ce contexte que Roty remporte le Prix de Rome en 1875, distinction qui avait déjà honoré Chaplain, Daniel-Dupuis, et d’autres. Le Grand Prix, jugé par l’Académie, récompense les talents en gravure en médaille.
  • Les commandes officielles : Plusieurs grands médailleurs participent à la réalisation des médailles officielles pour l’Exposition Universelle de 1889. L’un de ces modèles de Roty – la célébrissime La Semeuse – puise dans ce climat de haute exigence.

La transmission s’accompagne parfois d’émulation : lors du Salon de 1887, Roty propose une médaille en hommage à Chaplain, inversant la tradition du maître portraiturant l’élève (Source : Bulletin de la Société des Amis de la Médaille Française, n°13, 1908).

La fascination pour l’Italie de la Renaissance : lointain modèle, inspiration constante

Nourri des humanistes, Roty regarde aussi du côté de l’Italie des XVe et XVIe siècles, berceau de la médaille moderne. En particulier, l’art de Pisanello (Antonio di Puccio Pisano, v.1395-1455) exerce sur plusieurs générations de médailleurs une véritable fascination.

  • Pisanello : évocateur du portrait psychologique. Parmi ses médailles, celle à l’effigie de Cécile Gonzaga (1447), conservée au Louvre (MR.2133), est souvent citée pour la grâce de sa composition où le profil stylisé se détache sur un fond allusif. Roty, admirateur lors de son voyage d’étude à Rome (1877), note : « Ici tout est silhouette et suggestion, l’âme affleure au bronze » (carnet de voyage, BNF).
  • La tradition du revers narratif, si vivante à la Renaissance, sera réinterprétée par Roty – ainsi, sur sa médaille de la Société française de photographie (1898), où la scène illustration de la découverte fait écho aux compositions de Pisanello.

Transmission des gestes : techniques ancestrales et innovations de Roty

Les maîtres médailleurs de Roty ne lui ont pas seulement transmis motifs, compositions ou philosophies. Ils lui lèguent aussi des techniques clés :

  1. Le repoussé et la ciselure à la main plutôt que le simple moulage : Daniel-Dupuis et Chaplain privilégient le travail à la main, permettant d’obtenir nuances et souplesses. Roty se fera le chantre de ce geste artisanal, qu’il juge "irremplaçable pour obtenir la vie dans le métal" (source : Pierre-Yves Marie, Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, 2008).
  2. L’enlèvement du fond pour donner du relief : héritée de David d’Angers (qui parlait de « dégager l’action »), cette technique sera poussée par Roty dans ses compositions les plus ambitieuses.
  3. L’usage des patines variées : si Bianchi expérimente de nouvelles patines, Roty, lui, ira jusqu’à inventer sa propre gamme de traitements de surface pour renforcer la lisibilité et la sensualité du bronze.

L’héritage vivant : quand Oscar Roty inspire à son tour

Il est fascinant de constater que Roty, nourri de ses maîtres et du patrimoine européen qu’il admire, est lui-même devenu référence pour des générations suivantes. Plusieurs distinctions internationales lui sont rapidement décernées, comme la Légion d’honneur (1887), ou la médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1900, qui consacre son style comme le nouvel horizon de la médaille moderne (source : Le Figaro, 15 août 1900).

Maître Apport artistique Transmission à Roty
Chaplain Naturalité, relief vibrant, médaille-tableau Modernisation des portraits et scènes
Daniel-Dupuis Douceur du modelé, paysages, lumière Aventure de la narration silencieuse
David d’Angers Souffle épique, portrait suggestif Dynamisme du geste et du revers
Pisanello Portraits de la Renaissance italienne Profil stylisé, fond poétique

Pour aller plus loin : pistes de (re)découverte

  • Visiter le Musée de la Monnaie de Paris pour voir des œuvres originales de Roty, Chaplain et Daniel-Dupuis.
  • Découvrir l’ouvrage « La médaille en France » de Jean Belaubre (Editions de l’Amateur, 1996), référence sur l’histoire du médailleur français.
  • Plonger dans les carnets de voyage de Roty, conservés à la BNF, qui dévoilent des réflexions fascinantes sur ses maîtres.

Oscar Roty, tout en affirmant un génie singulier, est le fruit de dialogues vivants avec les artistes qui l’ont précédé et accompagné. Explorer cette filiation, c’est aussi se donner la clé d’une histoire de la médaille où le passé féconde sans cesse les audaces de demain.

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