24 octobre 2025
Lorsqu’on évoque Oscar Roty (1846-1911), c’est bien souvent la « Semeuse » qui surgit dans l’imaginaire collectif, cette allégorie qui a orné les monnaies françaises du XXe siècle jusqu’à l’euro. Mais cantonner Roty à ce seul motif serait ignorer combien il fut le témoin et l’acteur d’un tournant capital : la rencontre entre la tradition séculaire de la médaille et les innovations techniques de la Belle Époque.
Entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe, l’art et l’industrie dialoguent à un rythme inédit. La France, qui a vu son industrie métallurgique se diversifier et se sophistiquer, place l’innovation technique au cœur du dynamisme artistique. C’est dans ce contexte que Roty fait œuvre de pionnier, jonglant avec les apports de la gravure mécanique, de la photographie et des procédés électrochimiques. Comment ces progrès lui ont-ils permis de faire évoluer la médaille d’un objet commémoratif parfois rigide à une forme d’expression sensible et moderne ?
En 1870, la médaille telle qu’on la connaît est à la croisée des chemins. Les commandes officielles s’essoufflent, la répétition des mêmes codes académiques suscite une lassitude générale. Selon le médailleur Jean-Baptiste Daniel-Dupuis, la médaille « ne vivait plus que de son passé » (source : La Revue de l’Art, 1986).
Pourtant, la demande s’amplifie : il faut commémorer les expositions universelles, les grands travaux publics, la vie associative, les prouesses sportives. Autant d’opportunités pour insuffler un vent de nouveauté, mais encore faut-il disposer d’outils capables de répondre à ces nouveaux défis.
Si la médaille a souvent été considérée comme une « petite sculpture », ces avancées techniques vont lui permettre de s’affranchir des limites imposées par le matériau et de flirter avec le niveau de détail et de spontanéité jadis réservé à la peinture ou au dessin.
Impossible d’évoquer la modernité de Roty sans mentionner la révolution de la photographie, qui devient un outil irremplaçable pour les artistes du XIXe siècle. Dès les années 1850 émergent des studios spécialisés dans le portrait, avec des rendus toujours plus fidèles aux expressions et à l’individualité de leurs modèles.
L’un des apports majeurs du XIXe siècle à l’art de la médaille fut sans nul doute la galvanoplastie, technique qui consiste à déposer par voie électrochimique une mince couche de métal sur un support. Ce procédé, mis au point par Moritz von Jacobi puis perfectionné à Paris dans les années 1840, fut massivement utilisé à partir de 1860 dans l’atelier des médailleurs parisiens.
Oscar Roty s’approprie cette innovation dès ses débuts à la Monnaie de Paris. Elle lui permet de :
Comme l’explique la conservatrice Anne Pingeot, la galvano donne à la médaille « un air de modernité, gomma la monotonie de l’objet, permit de véritables séries pour artistes et collectionneurs » (Musée d’Orsay, dossier Roty, 2010).
Si Roty pouvait se permettre de multiplier ses pièces et d’en peaufiner les détails, il le doit pour beaucoup à l’ingénieur Victor Janvier, dont le pantographe révolutionna la réduction des modèles. Jusqu’alors, graver une effigie miniature s’avérait fastidieux ; la moindre erreur en matrice d’acier pouvait ruiner des jours de labeur.
La machine Janvier, brevetée en 1899, permit :
Cette innovation est déterminante pour la production de Roty entre 1890 et 1910. Il en résulte une explosion des types, motifs, et une diffusion plus large, notamment lors des expositions universelles. Roty devient ainsi l’un des médailleurs les plus représentés des salons — on recense plus de 500 modèles créés ou réalisés sous sa direction à la Monnaie de Paris entre 1885 et 1910 (source : La Monnaie de Paris, archives).
La Semeuse, modèle créé initialement en 1887 pour la médaille de l’Exposition centrale des Beaux-Arts, devient la figure centrale des francs français à partir de 1897. Si elle est aussi familière, c’est grâce à la capacité de la Monnaie de Paris à en produire en série, à tous les formats, du centime à l’argent s’il le faut.
Le motif, à la frontière du symbolisme républicain et du naturalisme moderne, n’aurait pu être diffusé aussi largement sans la machine à réduire et la galvanoplastie. La preuve : dix variantes du profil de la Semeuse circulent entre 1897 et 1922, adaptées selon les besoins de chaque jeton ou billet, preuve de la souplesse permise par les techniques nouvelles.
S’il fallait résumer l’attitude d’Oscar Roty face à la technique, c’est le mot « perméabilité » qui viendrait à l’esprit. Chez lui, l’innovation n’est jamais une fin en soi ; elle doit servir une sensibilité, une finesse dans le modelé et une approche presque impressionniste de l’instant. Il n’hésite pas à croiser les procédés anciens (modelé à la cire, ciselure à l’antique) et les outils modernes comme la photographie ou la machine Janvier, selon les besoins du sujet.
À l’heure où le XXIe siècle redécouvre l’histoire des techniques, l’œuvre de Roty s’offre comme terrain privilégié pour (re)penser le rapport entre l’artiste et l’innovation. Les médailleurs contemporains, tout comme les graveurs de monnaies, poursuivent aujourd’hui le dialogue entre savoir-faire manuel et outils numériques. À l’aune d’expositions telles que « Oscar Roty, Apôtre de la médaille moderne » (Musée Oscar Roty, Jargeau, 2022), il est frappant de voir combien la figure de Roty, loin d’être un simple relais du passé, reste emblématique de ce va-et-vient fertile entre tradition et modernité.
Pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, un détour par les archives de la Monnaie de Paris, la lecture du catalogue raisonné de Georges Dupré (« Oscar Roty, Graveur Médailleur », 1962), ou la consultation en ligne des collections du Musée d’Orsay et de la Banque de France offre un aperçu saisissant de cet artisanat de la modernité. Oscar Roty, inspiré par et inspirateur de tant d’innovations, aura sans conteste transformé à jamais la médaille française – la rendant, un temps, aussi vivante et changeante que la société qui la fit naître.
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