Oscar Roty, forgeron de la Belle Époque : une carrière en six temps

28 octobre 2025

Des débuts prometteurs : l’apprentissage au cœur du Second Empire

Oscar Roty, né en 1846 à Paris, n’est pas une figure ordinaire du paysage artistique français. Son parcours, long et sinueux, débute lors d’une période charnière de l’histoire de France : le Second Empire. Il est d'abord élève de Léon Dubois à l’École des Beaux-Arts, mais c’est sous la direction de François-Joseph-Hubert Ponscarme, le rénovateur de la médaille française, que Roty trouve sa véritable vocation. Cet apprentissage est fondamental : le jeune Oscar puise dans l’observation des œuvres Renaissance, mais aussi des bas-reliefs antiques.

Dès 1864, à à peine 18 ans, Roty expose pour la première fois au Salon des Artistes Français. Malgré la jeunesse, on note déjà une exigence rare dans ses compositions, tenant à la fois de l’héritage académique et d’une volonté de modernité. L’anecdote veut que son père, d'origine picarde, bricoleur, l’ait aussi initié très tôt à l’importance du geste : une dimension artisanale longtemps revendiquée par l’artiste, et qu’on retrouve jusque dans la minutie de ses maquettes.

Le Prix de Rome : le baptême académique (1875)

Comme tout artiste du XIXe siècle désireux d’inscrire son nom dans l’histoire, Roty vise le prestigieux Prix de Rome : l’épreuve ultime pour les sculpteurs et médailleurs. En 1875, il remporte enfin cette récompense, alors très convoitée (parmi plus de 40 candidats). Ce prix permet à Roty de partir quatre ans à la Villa Médicis, à Rome, à l’instar des plus grands – de David d’Angers à Falguière.

C’est là, dans une atmosphère vibrante mêlant archéologie et avant-garde, que Roty affine son style. Il étudie les monnaies antiques, dialogue avec la modernité de Carpeaux ou de Chapu, et commence à penser à une nouvelle grammaire pour la médaille. Un registre naturaliste, loin du néo-classicisme dominant, s’impose : le modelé se fait plus vif, le sujet parfois plus intimiste.

Le retour à Paris et la période d’effervescence (1879 – 1890)

A son retour, Roty trouve un Paris transformé. La République veut afficher haut ses valeurs. Roty, bien introduit grâce à ses réseaux, reçoit commandes et distinctions. Il participe aux grandes Expositions Universelles de 1878 et 1889 : celles du progrès industriel et de l’utopie sociale.

  • 1879 : Il devient membre de la Société des Artistes Français.
  • 1882 : Lauréat de la médaille d’or à l’Exposition d’Amsterdam.
  • 1889 : Exposition Universelle, médaille d’or pour son œuvre « Charité ».

Mais la notoriété de Roty ne se limite pas aux salons : il révolutionne la médaille, considérée jusque-là comme un art de second rang. Son innovation majeure ? L’introduction du médaillon à physionomie réaliste et narrative. Il fait poser sa famille, ses amis, des anonymes. Cette démarche rapproche la médaille de l’intimité du portrait, s’affranchissant du carcan allégorique classique. L’influence de Jules Dalou, de Rodin, même si elle reste discrète – éveille chez Roty un goût nouveau pour le mouvement et l'instantanéité.

En 1887, il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur, signal fort de reconnaissance de l’État. Cette phase marque surtout la maturation d’un style : la figure féminine – à la frontière entre allégorie et réalité – s’impose peu à peu comme un motif récurrent, prélude à la Semeuse.

La consécration : naissance de la Semeuse et apogée institutionnelle (1896)

L’histoire de l’art retient souvent une création, une effigie : pour Roty, c’est la fameuse « Semeuse ». En 1896, sur commande du ministre des Finances, il réalise la première version de la Semeuse, destinée à orner les pièces de monnaie et les timbres-poste. Cette figure d’une jeune femme, semant à pleines mains sous un soleil levant, devient instantanément un symbole de la République triomphante et laborieuse. Elle va marquer l’imaginaire collectif pour des générations.

  • La Semeuse équipe notamment la série de francs en argent émise à partir de 1897.
  • Entre 1898 et 1920, plus de plus d’un milliard de pièces sont frappées à son effigie (source : Monnaie de Paris).
  • La Semeuse sera également utilisée sur les célèbres timbres bleus, rouges et violets du XXe siècle.

Le style de Roty atteint ici sa pleine maturité : le relief se fait fluide, la composition respire, le détail capte la lumière d’une façon alors inédite. Techniquement, la médaille se rapproche du bas-relief impressionniste. L’artiste, moderniste sans rupture, puise dans la tradition tout en la propulsant dans la modernité.

Parcours au sein des institutions : Académie des Beaux-Arts, Monnaie de Paris, commandes officielles

L’apport de Roty ne réside pas seulement dans la création de figures emblématiques, mais également dans son influence institutionnelle. Son entrée à l’Académie des Beaux-Arts (Institut de France), le 25 mars 1900, vient sceller une reconnaissance suprême. Il succède à Albert Bartholomé au fauteuil de la section gravure en médaille et pierre fine (sources : Institut de France, Monnaie de Paris).

Entre 1900 et 1911, Roty siège à de très nombreux jurys, influence la formation des jeunes artistes, conseille la Monnaie de Paris pour les renouvellements de modèles. Il est aussi appelé à intervenir dans l’élaboration de motifs pour :

  • Les médailles de la Ville de Paris ;
  • L’Exposition universelle de Paris 1900 (où il reçoit à nouveau une médaille d’or) ;
  • De grandes décorations, comme la Nouvelle Légion d’honneur.

Son parcours est aussi marqué par une forte implication dans la formation des jeunes médailleurs. Roty enseigne à l’École nationale des Beaux-Arts, encourage la première génération de femmes à pratiquer la gravure de médailles (on cite Jeanne D'Olive, première élève féminine de l’époque, selon Le Figaro, 1905).

Les dernières années : une renommée populaire, entre reconnaissance et désillusions (1909 – 1911)

Si la carrière de Roty connaît son apogée au tournant du siècle, ses dernières années sont teintées d’un mélange de reconnaissance et d’insatisfaction. Il reçoit la Grande Médaille d’Honneur de la Ville de Paris en 1909 et reste sollicité par les plus grandes institutions – mais le climat artistique évolue rapidement. L’Art Nouveau triomphe, tandis que la médaille française se confronte à de nouvelles esthétiques européennes (Grasset, Mucha, Klimt).

Roty reste fidèle à sa grammaire plastique, parfois critiqué pour son attachement à une douceur naturaliste là où ses jeunes collègues cherchent la stylisation, la rupture. L’artiste s’éteint en 1911 laissant derrière lui près de 400 médailles référencées par la Monnaie de Paris et des dizaines de projets non aboutis conservés dans ses ateliers (sources : Musée d’Art et d’Histoire d’Issy-les-Moulineaux).

Héritage et nouvelles perspectives : Roty au miroir du XXIe siècle

L’œuvre d’Oscar Roty ne se résume pas à la Semeuse, aussi célèbre soit-elle. Il a redonné une dignité nouvelle à l’art de la médaille, trop souvent considéré comme mineur. Sa production frappe par sa diversité, autant que par sa diffusion – de la plus modeste médaille de récompense scolaire au grand décor national.

  • En 2011, le centenaire de sa mort donne lieu à une grande exposition rétrospective au Musée d’Issy-les-Moulineaux, réunissant plus de 500 œuvres.
  • De nombreuses institutions (Musée d’Orsay, Cabinet des Médailles de la BnF, Monnaie de Paris) continuent d’enrichir leurs collections Roty.
  • L’anecdote veut que plusieurs graveurs contemporains avouent « prendre la Semeuse pour modèle de leur première étude de relief et de modelé », selon l’historien Philippe Danfrie (interview, 2019, revue Numismatique et Médailles).
PériodeÉvénement-cléImpact
1864-1875Formation et Prix de RomeFondation du style, ouverture à l’antique et au naturalisme
1879-1890Reconnaissance officielleExpositions universelles, innovations de la médaille narrative
1896-1911La Semeuse, apogée institutionnelleDémocratisation de l’art du médaillier, influence durable jusqu’à nos jours

Loin de n’être qu’un portraitiste officiel, Oscar Roty a su transfigurer les codes et susciter l’émotion dans ce format réduit qu’est la médaille. Un héritage à (re)découvrir, qui interroge toujours notre rapport à l’art du quotidien, à l’allégorie républicaine et au geste artisanal. La Semeuse, pièce de monnaie iconique, traverse les poches et les mémoires de la France, mais derrière elle, toute une carrière se dessine, pleine de nuances, d’innovations et d’un goût intransigeant pour la transmission.

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