Aux sources du talent : le parcours artistique d’Oscar Roty, de la formation à la maîtrise

29 août 2025

Un Paris en effervescence : le contexte de la formation artistique au XIX siècle

Paris, dans la seconde moitié du XIX siècle, était la capitale artistique de l’Europe. Les grandes écoles y forgeaient les artistes autant que les courants, et le passage par l’une ou l’autre pouvait déterminer une carrière. Oscar Roty est né le 11 juin 1846 dans ce bouillonnement culturel et artistique. Avant de trouver sa voie propre, il s’inscrit dans les grandes traditions de formation qui marquent alors toute une génération de sculpteurs et de graveurs.

  • Plus de 300 élèves fréquentaient chaque année l’École des Beaux-Arts dans les années 1860 (source : Archives nationales, chiffres de 1867).
  • La médaille y était enseignée à travers la gravure, la sculpture et le dessin, via un système d’ateliers et de concours très codifié.
  • Les concours et prix (notamment le Prix de Rome, créé en 1663 pour la gravure en médaille) constituent un tremplin crucial pour les jeunes artistes.

Premiers pas : du Lycée Bonaparte à la vocation artistique

Roty ne vient pas d’une famille d’artistes : son père, imprimeur, observe d’un œil attentif les talents du jeune Oscar. Celui-ci commence par faire sa scolarité au Lycée Bonaparte (aujourd’hui Lycée Condorcet), l’un des plus prisés du Paris du Second Empire. Si l’enseignement y est généraliste, c’est déjà là que se révèlent de premiers dons pour le dessin : ses camarades remarquent la précision de ses croquis de bustes et d’objets.

Son goût pour l’ornement et la finesse de la ligne poussent la famille à l’orienter, dès la sortie du lycée, vers une filière plus manuelle et artistique. Il n’a alors que seize ans.

L’École des Arts Décoratifs : une première immersion dans l’art appliqué

Avant d’intégrer l’École des Beaux-Arts, Oscar Roty passe par un établissement alors à la pointe : l’École des Arts Décoratifs, fondée en 1766 et devenue un vivier d’inventeurs de style. L’école, située rue de l’École de Médecine, promeut un enseignement plus pragmatique que celui des Beaux-Arts, en cultivant la polyvalence : le programme inclut le modelage, l’ornementation, la gravure, la ciselure.

  • Roty y entre en 1865, à l’âge de 19 ans.
  • Il étudie sous la direction d’Auguste Oudinot, médailleur et ornemaniste de renom. Ce dernier prône une approche attentive à la matière et à la composition.
  • L’école attire alors près de 200 élèves chaque année. Là, Roty apprend à reconnaître la valeur du détail, le goût du relief, et le lien entre l’œuvre et la commande utilitaire.

Le grand saut : admission à l’École des Beaux-Arts de Paris

L’École des Beaux-Arts, fameux bastion de l’art académique, constitue le pivot du parcours de Roty. Il y est admis en 1867, après concours, dans le département de gravure en médailles et pierres fines – une filière d’élite regroupant à peine une quinzaine d’élèves chaque année (sources : Bulletin de la Société française de numismatique).

  • Les professeurs alors en charge de la gravure sont Hubert Ponscarme (1827-1903) et Jules-Clément Chaplain (1839-1909), eux-mêmes médaillés et innovateurs.
  • L’école organise un enseignement à la fois collectif (cours de dessin communs) et personnalisé : chaque élève travaille dans l’atelier d’un maître attitré.
  • Roty bénéficie des leçons de Ponscarme, pionnier du relief fondu et de la médaille “moderne”, qui refuse le moule et met l’accent sur le modelé expressif.

Un enseignement rigoureux et codifié

La vie d’étudiant aux Beaux-Arts est rythmée par les concours : concours d’esquisse, de modelage, de composition. Les journées commencent tôt, dans la lumière des ateliers, et se terminent parfois tard, au bruit des burins. On y apprend :

  • Le dessin d’après modèle vivant
  • La mise au carreau pour reproduction à différentes échelles
  • La taille en relief sur plâtre, cire, puis sur métal
  • La création de revers et d’avers, exercices complexes en médaillerie

Non seulement la technique, mais aussi l’exigence du regard et du jugement critique, sont inculqués par les maîtres.

Un atelier d’exception : la rencontre fondatrice avec Ponscarme

Hubert Ponscarme, révolutionnaire discret de la médaille, va profondément marquer Oscar Roty. Ponscarme, premier à introduire la notion d’œuvre “d’auteur” dans la médaille (qui cessait d’être une simple commande pour devenir une création artistique), encourage Roty à dépasser l’imitation des maîtres anciens pour explorer une expression plus personnelle du relief.

  • Sous sa houlette, Roty apprend à privilégier le modelé en ronde-bosse, créant des portraits où le personnage semble surgir du métal.
  • L’atelier Ponscarme, rue Chaptal, est réputé pour ses débats effervescents entre élèves, ses critiques sans ménagement, et ses expérimentations de patines et techniques inédites.

On raconte que Ponscarme, découvrant la première esquisse d’un jeune Roty, aurait dit « Ce garçon a la main insolente des gens qui osent tout » (cf. L’Art et les artistes, 1905).

Concours et distinctions : la route du Prix de Rome

La consécration du cursus aux Beaux-Arts demeure le parcours du prix de Rome. En 1875, à 29 ans, Roty le remporte dans la section gravure en médailles, après une tentative infructueuse l’année précédente. Il réalise pour cela une médaille sur le thème imposé de Philémon et Baucis, qui fait alors sensation.

  • Ce succès lui offre quatre années de séjour à la Villa Médicis, laboratoire d’excellence romain dirigé par le sculpteur Gérome (source : site officiel Académie de France à Rome).
  • Au total, sur la décennie 1870, seulement 2 à 3 lauréats sont sélectionnés chaque année parmi des dizaines de candidats pour la section médaille.

Ce passage par Rome est crucial : Roty acquiert un sens de la monumentalité, du mouvement, et du décor narratif, qui façonneront plus tard sa vision de la médaille “vivante”.

Les premières commandes : un apprentissage par la pratique

Durant ses années de jeunesse, la formation théorique s’accompagne d’un constant travail sur commande. Institutions publiques, municipalités et collectionneurs privés sollicitent, dès avant 1880, le talent de Roty, dont l’audace fait parler dans les cercles parisiens. Parmi les premières œuvres notables issues de cette période de formation :

  • La médaille pour l’Exposition universelle de 1878
  • Un portrait en médaillon du baron Haussmann, distribué lors de l’inauguration d’écoles parisiennes
  • Plusieurs essais de monnaies, conservés aujourd’hui à la Monnaie de Paris

L’école de la critique : concours, salons et remise en question

Dans ses jeunes années, Roty exposera régulièrement au Salon des Artistes français dès 1873. Le Salon agit comme un passage obligé, à la fois redouté et convoité. Chaque année, plus de 2000 œuvres y sont envoyées, mais à peine 10% sont acceptées en médailles ou bas-reliefs. Roty s’y fait remarquer non seulement par sa technique mais aussi par ses compositions narratives, influencées par les lectures et voyages entrepris pendant ses années d’études.

Des critiques célèbres de l’époque, comme Roger Marx, lui valent une réputation de précurseur de la “médaille impressionniste”, tant il capte l’instant plutôt que la pose figée (cf. Gazette des Beaux-Arts, 1898).

Un héritage pédagogique : l’élève devenu maître

Après la conquête du Prix de Rome, Roty reviendra souvent à l’École des Beaux-Arts comme membre du jury, puis comme professeur suppléant. Il lègue alors aux jeunes élèves ce souci du détail et cette soif d’expérimentation qui l’ont distingué. Parmi ses élèves, on compte Jules Desbois, Charles Pillet et Frédéric Vernon, figures marquantes de la médaille française du tournant du siècle.

Cette tradition d’excellence académique, combinée à une volonté d’innover, portera l’héritage de la formation de Roty jusque dans les ateliers modernes.

Perspectives : la formation, matrice de la liberté artistique

Le cas d’Oscar Roty illustre à quel point, dans la France du XIX siècle, la réussite artistique passait par une solide formation. Mais l’école, loin d’être un corset, fut pour lui un tremplin : entre École des Arts Décoratifs, Beaux-Arts et séjour à Rome, Roty assimila puis dépassa les règles. L’exemple de son parcours offre, encore aujourd’hui, une réflexion passionnante sur la manière dont les institutions artistiques savent, ou non, amadouer les génies, et transformer des vocations en carrières singulières.

Sources :

  • Monnaie de Paris
  • Bulletin de la Société française de numismatique, n°4, 1962
  • Gazette des Beaux-Arts, 1898
  • Académie de France à Rome — Villa Medici
  • Archives nationales, chiffres de fréquentation des écoles d’art, 1867
  • L’Art et les artistes, 1905

Dans l’atelier des maîtres : ceux qui ont façonné Oscar Roty

01/09/2025

Oscar Roty, célèbre pour ses médailles et la Semeuse des pièces françaises, n’a pas éclos dans l’isolement d’un génie spontané. Son raffinement, son sens du détail et sa modernité se...

Les fondations d’un destin artistique : les jeunes années d’Oscar Roty

06/09/2025

Né le 11 juin 1846 à Paris, Oscar Roty grandit dans le quartier animé de la Rive Gauche. Fils de Jean-Baptiste Roty, ciseleur d’origine lorraine, il est plongé très tôt dans l’univers du travail manuel et de la cr...

Aux origines d’Oscar Roty : enfance et apprentissages d’un futur maître médailleur

19/08/2025

Né le 11 juin 1846 dans le quartier populeux du 5 arrondissement de Paris, Louis-Oscar Roty grandit au cœur d’une ville en pleine transformation. La capitale fourmille d’innovations et de renouveaux artistiques sous le règne de Napoléon III...

Oscar Roty : les premières récompenses d’un graveur d’exception

14/09/2025

Avant toute reconnaissance officielle, Roty s’est forgé un parcours dans le creuset de la formation artistique la plus rigoureuse de son temps. Fils d’un fondeur-modeleur exilé de Lozère, Oscary Roty (1846-1911) naît à Paris et entre, à tout...

Les artistes qui ont façonné la jeunesse d’Oscar Roty : influences, transmissions et héritages

27/09/2025

Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris dès 1865, Oscar Roty y fréquente trois ateliers successifs, guidé par son tempérament curieux et exigeant. Ses maîtres principaux sont Augustin-Alexandre Dumont et François Jouffroy, deux figures du n...