Oscar Roty : les rencontres qui ont forgé un médailleur d’exception

17 septembre 2025

L’atelier Ponscarme : le premier maître, la première passion

La vocation d’Oscar Roty se dessine très tôt. Entré à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1864 après des études au lycée Bonaparte, c’est à la faveur de l’atelier du graveur Hubert Ponscarme (1827-1903) que Roty trouve sa voie. Ponscarme, grand rénovateur de la médaille, s’attachait à briser la monotonie des productions officielles alors en vogue, notamment en abolissant le listel ou bourrelet périphérique, détail technique qui libérait l’expression artistique (Musée d’Orsay).

  • Esprit de modernité : Ponscarme faisait figure de pionnier au sein de la médaille “vivante”, cherchant la spontanéité du motif, privilégiant la suggestion au réalisme académique. Sa “Médaillon de M. L. Gautier” (1867) donna le ton de toute une génération, dont Roty fut le principal héritier.
  • Un enseignement exigeant : L’assiduité et la rigueur de Roty impressionnèrent son maître, qui l’encouragea à explorer non seulement la technique de la gravure, mais aussi le modelé en bas-relief, non sans lui conseiller de s’ouvrir à la sculpture sur pierre ou sur bronze. Cette polyvalence marqua toute la production rotyenne.

Dans le sillage de Ponscarme, Roty cultive très vite une attention extrême au détail et à la narration. Une anecdote illustre leur complicité : durant la préparation du Prix de Rome, Roty, trop modeste, ne souhaite pas présenter son projet au maître ; ce dernier, découvrant le travail en cachette, le convainc d’oser la compétition. Ce sera un échec en 1869, mais ce tremplin préfigure sa médaille d’or au Salon de 1875.

Jean-Baptiste Carpeaux : le sculpteur énergique, une nouvelle vision du relief

Parmi les grandes personnalités croisées par Roty durant sa formation, Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) occupe une place singulière. Sculptant le mouvement, pétrissant la vie dans le bronze et le plâtre, Carpeaux fascina Roty autant par son énergie créatrice que par la modernité de son modelé (Institut national d’histoire de l’art).

  • L’influence expressive : Les œuvres de Carpeaux, telles “La Danse” (Opéra Garnier, 1869), dévoilaient une force inédite dans la figuration du corps. Roty, alors jeune graveur, s’inspire de ces enchevêtrements d’attitudes pour insuffler du dynamisme à ses figures féminines – la Semeuse n’est pas sans évoquer une arabesque carpeausienne.
  • Dialogue autour du relief : S’il n’est pas élève direct de Carpeaux, la fréquente proximité de leurs ateliers permet à Roty d’observer in situ les gestes du sculpteur : le goût de la terre brune, l’esquisse rapide, le volume saisi sur le vif deviennent des exercices réguliers pour le médailleur.

Une légende d’atelier rapporte que Carpeaux, amusé par la minutie rotyenne, lui glissa un jour : “Fais-les courir, tes ombres !” Roty, touché, ne cessera plus d’œuvrer pour des médailles vivantes, aux profils toujours en mouvement.

Frédéric Auguste Bartholdi et la découverte de l’envergure internationale

La célébrité de Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904), sculpteur de la Liberté éclairant le monde, offrit à Roty davantage qu’une admiration distante. Plusieurs commandes publiques, officielles et prestigieuses, furent l’objet de collaborations ou du moins de débats d’idées, renforçant l’ambition internationale de Roty.

  • Tisser des liens avec les institutions : La participation conjointe de Roty et Bartholdi à l’Exposition Universelle de 1878 fut l’occasion pour Roty de rencontrer artisans, médailleurs et décideurs du monde entier, tout en constatant la nécessité de forger un art “français” à vocation mondiale (Catalogue de l’Exposition Universelle, 1878).
  • Une vision monumentale : La grandeur des œuvres de Bartholdi incita Roty à penser ses propres médailles selon différentes échelles, tout en restant attentif à la lisibilité miniature. Cette recherche du juste format s’observa durant toute la Belle Époque, où la concurrence internationale était rude chez les médailleurs français (près de 1500 médailleurs recensés avant 1900 selon la Société française de Numismatique).

Le compagnonnage amical : Alexandre Charpentier et l’aventure de l’Art nouveau

Impossible de comprendre le parcours de Roty sans évoquer ses complices de la Société des Artistes Décorateurs (fondée en 1882), et plus particulièrement Alexandre Charpentier (1856-1909). Ces artistes partagent le refus des divisions entre grands arts et arts appliqués.

  • Le laboratoire de la médaille moderne : Avec Charpentier, Roty expérimente de nouveaux alliages, adopte l'emploi de la céramique et du cuivre martelé, et introduit dans ses séries de médailles et plaquettes une diversité de sujets : scènes rurales, maternités, travailleurs de la ville et de la campagne (voir les “médailles sociales” de Roty, Coll. Monnaie de Paris).
  • Droits d’auteur et édition : Épris de modernité, Charpentier et Roty se battent pour la reconnaissance artistique de la médaille, rêvant de la voir éditée en série, accessible à tous comme un petit objet d’art démocratique ; une rupture complète avec l’élitisme de la gravure ancienne.
  • Des expositions collectives marquantes : Leur participation commune aux Salons (par exemple, celui de la médaille en 1897) attire l’attention sur cette génération qui renouvelle profondément l’art décoratif français.

Les institutions comme relais : l’École des Beaux-Arts, l’Académie et la Monnaie de Paris

Si les figures humaines jouent un rôle central, l’importance du contexte institutionnel n’est pas à négliger. Trois institutions structurent le parcours de Roty.

  1. L’École des Beaux-Arts : Outre les maîtres, c’est le vivier d’élèves talentueux où naissent les rivalités comme les synergies. Roty tire profit autant des concours (second Prix de Rome en 1870) que des corrections collectives, d’où émergent des styles hybrides.
  2. L’Académie des Beaux-Arts : Roty y entre en 1888, élu au fauteuil de gravure médailleur. Ce statut assoit son influence : il devient à son tour modèle, parrainant la carrière d’une nouvelle génération (il soutient notamment la promotion d’Henri Dubois).
  3. La Monnaie de Paris : Adoptant la charge de graveur général en 1900, Roty bénéficie d’un véritable laboratoire technique et artistique. Le succès de la Semeuse, frappée à des millions d’exemplaires sur les pièces de monnaie françaises à partir de 1897, est le fruit d’une parfaite symbiose entre la vision de l’artiste et la puissance industrielle de l’institution (Monnaie de Paris).

On notera que grâce à la Monnaie, son atelier se dote d’ouvriers spécialisés, de presses nouvelles, et d’une infrastructure sans équivalent en Europe au tournant du XX siècle.

Femmes et inspiratrices : l’importance du cercle privé

Les figures masculines peuplent les archives de la médaille, mais Roty lui-même confia l’importance déterminante de son cercle familial et amical féminin. Plusieurs portraits au crayon ou en médaillon révèlent les visages de ses sœurs, de sa femme et de ses modèles, dont la célèbre Adrienne, qui inspira la Semeuse (source : Musée Oscar Roty, Jargeau).

  • Le modèle vivant : Si Adrienne est restée dans l’ombre, Roty la charge d’une symbolique forte : jeunesse au labeur, dignité simple, grâce quotidienne.
  • Un soutien dans la durée : La correspondance privée du médailleur mentionne l’appui sans faille de son épouse, Marie-Rose Roty, qui géra parfois l’atelier lors des absences, s’occupant des commandes et du suivi des expositions (Archives de la famille Roty).

Ces présences féminines tiennent lieu d’ancrage moral mais aussi de moteur créatif, témoignant de l’importance des réseaux intimes dans la genèse d’une œuvre.

L’influence de la critique et du public : retour de Salons

Enfin, il ne faut pas négliger l’influence de la critique et des collectionneurs qui, par leur regard et leurs attentes, aiguillonnent la création. La réception enthousiaste du public durant les Salons, mais aussi certaines critiques acerbes (notamment lors de la présentation de son “Timbre poste” pour la Semeuse en 1903, qui fut jugé trop moderne), poussent Roty à sans cesse affiner son style et à chercher le juste équilibre entre tradition et innovation (Revue des Beaux-Arts, 1903).

  • Des collectionneurs-passeurs : Roty put s’appuyer sur des passionnés comme le baron Edmond de Rothschild, dont la collection participa à la diffusion de la médaille moderne dans toute l’Europe.
  • Le débat artistique : Les controverses entourant l’ornementation des timbres et pièces ont permis à Roty d’ancrer son art dans la réalité sociale et dans les préoccupations du grand public.

Regard sur un parcours tissé de rencontres

De l’atelier feutré du graveur Ponscarme à l’effervescence des Salons ou au tumulte discret de son cercle d’amis artistes, Oscar Roty n’a cessé de grandir au gré d’influences croisées. Ses interactions avec les grands sculpteurs, compagnons décorateurs, puissantes institutions ou inspiratrices de l’ombre lui ont permis d’insuffler à la médaille française la modernité d’une époque avide de nouveauté. Ce réseau, visible et invisible, compose le terreau d’une œuvre qui, plus d’un siècle plus tard, demeure un pont fascinant entre Art et société.

Rencontre décisive Apport dans la carrière de Roty Source de l’anecdote/fait
Hubert Ponscarme (maître) Rigueur technique, audace créative Musée d’Orsay, notice biographique Roty
Jean-Baptiste Carpeaux (sculpteur) Modernité du mouvement, dialogue sculpture/médaille Institut National d’Histoire de l’Art
Alexandre Charpentier (ami, co-fondateur SAD) Révolution des arts décoratifs, édition de la médaille Monnaie de Paris, Société des Artistes Décorateurs
Bartholdi et les expositions universelles Envergure internationale, recherche du juste format Catalogue Exposition Universelle 1878
Adrienne et sa famille Modèles, soutien, inspiration quotidienne Musée Oscar Roty, Jargeau, archives privées

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