Les artistes qui ont façonné la jeunesse d’Oscar Roty : influences, transmissions et héritages

27 septembre 2025

Un berceau artistique à l’École des Beaux-Arts

Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris dès 1865, Oscar Roty y fréquente trois ateliers successifs, guidé par son tempérament curieux et exigeant. Ses maîtres principaux sont Augustin-Alexandre Dumont et François Jouffroy, deux figures du néoclassicisme français, dont l’impact dépasse le strict cadre du dessin académique.

  • Augustin-Alexandre Dumont (1801-1884) : Sculpteur officiel, il enseigne la rigueur, la composition et la hiérarchie des lignes, compétences qui marqueront la mise en page très construite des médailles rotiennes. Le « Génie de la Liberté » du sommet de la colonne de Juillet (Place de la Bastille) porte en elle une synthèse de grâce, d’élan et de clarté, retrouvés plus tard dans le geste de la Semeuse.
  • François Jouffroy (1806-1882) : Son style académique, élégant mais sans excès, influence la manière dont Roty aborde la figure humaine, autour de la justesse anatomique et de la douceur du modelé.

C’est dans cet environnement que Roty s’initie aux règles d’une composition structurée, mais aussi aux libertés qu’offre l’interprétation artistique. Il découvre les valeurs que la médaille partage avec la sculpture : expressivité des profils, importance du relief, et dialogue entre lumière et surfaces polies ou mates.

L’influence fondatrice d’Hubert Ponscarme : la médaille modernisée

Mais c’est son passage en 1871 dans l’atelier de Hubert Ponscarme (1827-1903) qui va profondément bouleverser son rapport à la médaille. Ponscarme, pionnier du renouveau médallistique, prône une rupture totale avec le style pompier hérité du Second Empire.

  • Ponscarme insuffle un esprit symboliste avant l’heure : il propose de rompre avec la médaille purement commémorative pour en faire un support de poésie, d’intimité, de suggestion. Les arrière-plans ne sont plus de simples fonds neutres, mais des espaces où s’inscrivent fleurs, paysages, évocations.
  • Il élargit les possibilités techniques : Ponscarme expérimente le rendu du relief, les ciselures, la vivacité des modelés imparfaits. Sa médaille d’Henri Regnault (1871), avec sa composition enchevêtrée de feuillage et sa sensibilité romantique, marquera durablement Roty.

En 1875, Roty dédie à Ponscarme une de ses médailles de lauréat du Prix de Rome, saluant son influence déterminante. Plusieurs sources, dont l’ouvrage La médaille en France aux XIXe et XXe siècles de Monnaies et Médailles S.A., confirment que beaucoup d’élèves de cette génération, Roty en tête, doivent à Ponscarme d’avoir osé bousculer la tradition.

Classiques et modernes : la double inspiration de la Renaissance et de l’époque romantique

En filigrane de cette formation, Roty nourrit une passion profonde pour les médailles italiennes du Quattrocento – et singulièrement celles de Pisanello (1395-1455).

  • La médaille du maître italien fait figure de manifeste : épure des portraits, équilibre des inscriptions, finesse du relief.
  • Dans sa correspondance, Roty confiera s’être inspiré de la simplicité de Pisanello, cherchant à préserver l’intimité du portait sans sombrer dans l’esbroufe technique.

De même, le romantisme de la première moitié du XIXe siècle aura son importance. Non pas tant par la forme, mais par l’état d’esprit : la médaille, chez Roty, n’est jamais seulement un objet, mais la trace d’un sentiment, une évocation, comme chez David d’Angers (1788–1856). Ce dernier, « poète du bronze », avait renouvelé la médaille en multipliant les portraits d’intellectuels et d’artistes – ce que Roty accomplira à sa manière plus tard avec Emile Zola, Sarah Bernhardt ou même la Semeuse, allégorie anonyme mais universelle.

La sphère familiale : encouragements précoces et sensibilités croisées

Roty grandit dans un milieu aisé mais discret, où l’appréciation des arts fait partie de la culture domestique. Son père, Jean-Baptiste Roty, n’est pas artiste, mais il encourage vivement la vocation dessinée du jeune Oscar.

  • Un environnement d’émulation : Les archives familiales conservées à la Bibliothèque nationale de France montrent qu’Oscar, adolescent, fréquentait le Salon de mai pour y contempler les œuvres des peintres tels que Georges Clairin ou Charles Chaplin, amis de la famille Roty.
  • La lecture et la copie de dessins anciens dans les albums familiaux ont également contribué à l’éducation du regard du jeune Oscar, tout comme le contact avec des collectionneurs parisiens amateurs de beaux objets.

Les camaraderies et la stimulation par les pairs

Les années de pension à l’École des Beaux-Arts et le séjour à la Villa Médicis à Rome sont de véritables creusets d’échanges intellectuels. Plusieurs compagnons d’atelier ont joué un rôle stimulant auprès du jeune Roty :

  • Jules Chaplain (1839-1909) : Futur grand médailleur, Chaplain croise Roty au tournant des années 1870. Une rivalité amicale se noue autour de la force expressive du portrait et du traitement de la lumière sur métal.
  • Louis-Oscar Roty rencontre aussi Jean-Baptiste Carpeaux lors de manifestations artistiques parisiennes. En admiration devant sa fougue, il adopte une liberté croissante dans l’esquisse de ses sujets.
  • Albert Bartholomé (1848-1928) : Sculpteur de la mémoire et ami fidèle, il échange avec Roty sur la notion de « souvenir » figé par la médaille. Bartholomé lui transmet son goût du détail et du sens caché des motifs.

Ce climat d’émulation, souvent retrouvé dans les mémoires d’anciens pensionnaires de la Villa Médicis de ces années, est tel qu’on parle d’« esprit de ruche artistique » dans certains articles spécialisés (Revue des Médailles, 1997).

Événements fondateurs : salons, expositions et premières distinctions

Roty est marqué par sa participation dès 1869 au Salon officiel, où il découvre les œuvres de contemporains :

  • Jean-Baptiste Auguste Clésinger (1814-1883) : La force de ses portraits modelés frappe le jeune Roty qui y voit la possibilité de rendre la « vie » à la médaille, loin des profils figés.
  • La découverte de la collection de médailles royales françaises du Cabinet des Médailles de la BNF, visitée avec un professeur, fonde sa passion pour l’histoire du portrait monétaire et l’ancrage de la médaille dans une tradition nationale, depuis Dupré jusqu’à Domard.

Entre 1871 et 1875, Roty remporte plusieurs distinctions, dont le Grand Prix de Rome pour une médaille sur le thème de « La République » : l’occasion de faire dialoguer influences italiennes, rigueur française et élans modernes.

Des inspirations à la création : synthèse rotienne

L’œuvre de jeunesse de Roty n’est pas seulement tributaire d’une école ou d’un maître. Elle est le fruit d’un brassage. Son style, tour à tour épique ou intimiste, révèle une capacité singulière à hybrider ses modèles. Parmi les caractéristiques issues de ses influences, on retient :

  • La composition rigoureuse héritée de Dumont.
  • Le goût des plans secondaires, de l’allégorie discrète, issu de Ponscarme.
  • La finesse des profils et le sens du portrait transmis par Pisanello.
  • L’attention aux états d’âme empruntée à David d’Angers.
  • La liberté du trait puisée auprès des amis artistes et sculpteurs contemporains.

Un exemple fameux reste la médaille dite de « La République » (1875), où Roty insère sa Marianne dans un décor naturel allégorique, héritage direct de la poésie de Ponscarme, du modelé à la française et du sens symbolique emprunté à la Renaissance italienne. Plus tard, la Semeuse, commandée par Oscar Wilde (anecdote souvent racontée lors des expositions, mais sans preuve tangible), magnifie ce sillage tout en y ajoutant une modernité propre à la Belle Époque.

Ouvrir la voie : Roty et les générations suivantes

Sur les Traces d’Oscar Roty, explorer ses influences, c’est redécouvrir la formation d’une vision artistique en constante élaboration. Le jeune Roty s’appuie sur un faisceau d’expériences et de rencontres pour forger un langage esthétique personnel. Ce balancement entre admiration des maîtres et appropriation des temps nouveaux explique pourquoi, à sa suite, tant de médailleurs – de Henri Dropsy à Pierre Turin – se sont référés à la « méthode Roty » : puiser dans plusieurs héritages pour mieux inventer sa propre lumière.

Plus qu’une généalogie fixe, l’influence sur Oscar Roty est celle d’un réseau vivant d’artistes, de critiques et d’amitiés, où la curiosité reste le plus beau des moteurs. À la façon d’un passeur, il poursuit aujourd’hui encore ce dialogue silencieux entre les siècles, invitant l’observateur à ouvrir, à son tour, l’œil sur les détails cachés de l’histoire de l’art.

Sources principales :

  • Musée Oscar Roty
  • Bibliothèque nationale de France, Cabinet des Médailles
  • La médaille en France aux XIXe et XXe siècles, Monnaies et Médailles S.A.
  • Revue des Médailles (1997)
  • Correspondance Oscar Roty, conservée à l’Institut de France

Aux sources du génie : influences et inspirations d’Oscar Roty

22/09/2025

La vie et l’œuvre d’Oscar Roty (1846-1911) épousent les remous d’un XIXe siècle foisonnant de mutations esthétiques, sociales et techniques. Pour comprendre la singularité de sa création, il est essentiel de revenir sur le...

Dans l’atelier des maîtres : ceux qui ont façonné Oscar Roty

01/09/2025

Oscar Roty, célèbre pour ses médailles et la Semeuse des pièces françaises, n’a pas éclos dans l’isolement d’un génie spontané. Son raffinement, son sens du détail et sa modernité se...

Les fondations d’un destin artistique : les jeunes années d’Oscar Roty

06/09/2025

Né le 11 juin 1846 à Paris, Oscar Roty grandit dans le quartier animé de la Rive Gauche. Fils de Jean-Baptiste Roty, ciseleur d’origine lorraine, il est plongé très tôt dans l’univers du travail manuel et de la cr...

Du dessin d’enfant à la médaille : les débuts artistiques d’Oscar Roty

02/11/2025

Né à Paris le 11 juin 1846, Oscar Roty grandit dans un environnement propice à l’éveil artistique. Son père, Pierre-Louis Roty, exerçait le métier d’orfèvre, une spécialisation particulièrement exigeante où patience, minutie et sens du d...

Aux sources du talent : le parcours artistique d’Oscar Roty, de la formation à la maîtrise

29/08/2025

Paris, dans la seconde moitié du XIX siècle, était la capitale artistique de l’Europe. Les grandes écoles y forgeaient les artistes autant que les courants, et le passage par l’une ou l’autre pouvait déterminer une...