13 octobre 2025
Né en 1846, Oscar Roty a grandi dans un XIXe siècle qui, tout en vénérant l’Antiquité et la Renaissance, foisonne de débats et d’innovations. Sa formation initiale à l’École des Beaux-Arts de Paris, sous la houlette de sculpteurs comme Augustin-Alexandre Dumont, lui donne un socle classique : l’étude assidue des textes antiques, de la mythologie gréco-romaine et de la tradition humaniste. Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari figurent parmi les lectures incontournables de tout jeune artiste de l’époque (source : École des Beaux-Arts, bibliothèques et programmes, XIXe siècle).
Mais Roty ne s’en contente pas : il puise également dans les écrits de l’époque, où s’entrecroisent pensées sociales, visions positivistes et poétiques modernes. Les salles de lecture du Quartier Latin bruissent alors de textes signés Victor Hugo, Théophile Gautier, mais aussi Auguste Comte ou Jules Michelet, tous lecteurs assidus du progrès autant que de la nature humaine.
La fin du XIXe siècle est marquée par la percée du mouvement symboliste, que ce soit en littérature, en peinture ou en arts décoratifs. Roty, même s’il ne revendique aucun manifeste, baigne dans cette atmosphère ; il se lie d’amitié avec des figures proches de Mallarmé, s’intéresse aux illustrations de Gustave Moreau ou Odilon Redon, et partage l’idée selon laquelle l’art doit suggérer plutôt que démontrer.
Dans ses médailles, cette quête de suggestion se manifeste dans le choix des allégories, l’attention portée au geste, à la lumière, à la personnification de valeurs abstraites. Le vers d’Albert Samain—« Rien n’est bon que d’aimer »—trônait, paraît-il, sur son chevalet lors de la création de la célèbre Semeuse (source : Archives personnelles, Lettre à Louis-Alexandre Bottée, 1897).
Parallèlement, Roty s’intéresse aux naturalistes—Zola en tête—et à l’enquête attentive sur la vie quotidienne. Ses carnets de croquis regorgent de petites scènes saisies sur le vif : lavandières, faucheurs, jardiniers. L’attention au détail concret, au geste simple, provient aussi des lectures de Flaubert ou de Maupassant, alors en vogue dans la société lettrée parisienne.
Ici, le naturalisme ne se réduit pas à la reproduction mécanique du réel, mais pose la question : comment révéler, en un instant saisi dans le bronze ou l’argent, la vérité universelle d’une humanité ? Ce dialogue entre observation et transposition poétique irrigue toute l’œuvre médailleur de Roty.
Le tournant du XIXe au XXe siècle est une période de bouillonnement scientifique et technique. Roty, membre de la Société des Amis des Sciences, suit de près les avancées en optique, en photographie et en chimie des matériaux. Ses échanges épistolaires mentionnent les traités de Louis Pasteur, Ernest Renan, et les articles du Journal des Savants (source : Correspondance, Musée Oscar Roty).
Roty n’est pas un scientifique, mais il refuse de considérer l’art comme coupé des grandes avancées de son temps. Il dévore revues et manuels comme La Nature ou les publications de l’Académie des Sciences. C’est aussi par cette curiosité-là qu’il contribue au renouveau de la médaille—le fameux « estyle rotien » (source : Gérard Ingold, "Oscar Roty, le Médailleur de la République").
L’engagement d’Oscar Roty dans plusieurs sociétés d’encouragement mutualiste et sa proximité idéologique avec l’esprit républicain de la Troisième République orientent aussi ses choix. Certains de ses écrits témoignent de lectures approfondies des textes fondateurs :
Tous ces textes forment le background intellectuel de ce républicain de conviction. Ils inspirent dans ses médailles la dimension allégorique de la Liberté, de la Paix ou du Travail, mais aussi ce souci d’égalité sociale.
Un exemple marquant : la médaille « À la Paysanne », émise en 1896, s’inscrit dans le sillage des écrits de Michelet sur le peuple et la terre. Le motif de la semence, métaphore essentielle sous la plume des penseurs progressistes, devient motif central dans l’iconographie de Roty.
À partir des années 1870, la fascination pour l’art japonais—le japonisme—traverse toute l’Europe. Roty, à l’instar de ses contemporains Monet, Toulouse-Lautrec et Gauguin, découvre les ukiyo-e (estampes japonaises), notamment via les revues Le Japon artistique et L’Art pour tous. Il collectionne quelques ouvrages sur Hokusai et Hiroshige. Cette influence se retrouve dans :
Le japonisme, c’est aussi l’admiration pour un art du quotidien, pour la beauté des objets modestes—une idée qui rejoint la philosophie de Roty : magnifier le banal, célébrer le geste simple.
Les lectures d’un artiste ne s’entendent pas seulement au sens livresque. Chez Roty, la fertilité de la pensée passe aussi par un réseau dense d’amitiés et de correspondances :
Dans ses lettres (près de 300 sont conservées au Musée Oscar Roty), il cite notamment Les Médailles de la Renaissance de Eugène Plon ou encore les articles de La Revue des Arts Décoratifs.
Ce qui frappe, en parcourant les sources disponibles sur Roty, c’est l’hétérogénéité de ses inspirations : littérature, journaux illustrés, livres scientifiques, traités d’esthétique, discours politiques. Les traces de ses bibliothèques reconstituées révèlent un panachage rare :
| Auteur | Titre | Nature de l’ouvrage |
|---|---|---|
| Giorgio Vasari | Vies des artistes | Essai biographique |
| Émile Zola | L’Œuvre, Germinal | Roman naturaliste |
| Stéphane Mallarmé | Poésies | Poésie symboliste |
| Jules Michelet | La République, Le Peuple | Essai historique et politique |
| Auguste Comte | Le Cours de philosophie positive | Traité philosophique |
| Hokusai, Hiroshige (par recueils illustrés) | Manga, Estampes | Art japonais |
Cette ouverture, loin de n’être qu’érudite, est une clef essentielle de la modernité rotienne : prendre partout ce qui peut nourrir la création, pourvu que le sens, la beauté et la vivacité s’invitent dans l’œuvre.
Après la mort de Roty en 1911, ses archives, bibliothèques et carnets ont en partie été dispersés, mais certains volumes sont toujours conservés au Musée Oscar Roty (Josselin), permettant de poursuivre la relecture de ses liens intellectuels. Aujourd’hui, chercheurs et amateurs continuent d’explorer la mosaïque de références qui armature son art : un héritage qui aide à mieux comprendre, derrière la douceur des traits ou la simplicité d’un motif, la profondeur d'une pensée composite et résolument moderne.
En redécouvrant ce terreau d’influences—de la poésie symboliste à l'élan scientifique, des manifestes républicains au japonisme—on mesure combien l’œuvre de Roty, véritable laboratoire de la Belle Époque, demeure un pont précieux entre passé et présent. Chaque médaille, chaque dessin, invite à l’aventure de la lecture, à la croisée des regards et des siècles.
22/09/2025
La vie et l’œuvre d’Oscar Roty (1846-1911) épousent les remous d’un XIXe siècle foisonnant de mutations esthétiques, sociales et techniques. Pour comprendre la singularité de sa création, il est essentiel de revenir sur le...
27/09/2025
Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris dès 1865, Oscar Roty y fréquente trois ateliers successifs, guidé par son tempérament curieux et exigeant. Ses maîtres principaux sont Augustin-Alexandre Dumont et François Jouffroy, deux figures du n...
26/08/2025
Né le 11 juin 1846 au cœur du 7 arrondissement de Paris (source : Médailliste — Revue Oscar Roty, société des amis d’Oscar Roty), Oscar Roty grandit dans une ville alors en pleine mutation. Paris résonne alors du tumulte des...
01/09/2025
Oscar Roty, célèbre pour ses médailles et la Semeuse des pièces françaises, n’a pas éclos dans l’isolement d’un génie spontané. Son raffinement, son sens du détail et sa modernité se...
06/09/2025
Né le 11 juin 1846 à Paris, Oscar Roty grandit dans le quartier animé de la Rive Gauche. Fils de Jean-Baptiste Roty, ciseleur d’origine lorraine, il est plongé très tôt dans l’univers du travail manuel et de la cr...